02.10.2021
Fred Sirieix veut conjuguer restauration avec réinsertion, et s’il avait raison ?
Le 19 mai dernier sonnait la réouverture des bars et restaurants après plusieurs mois de fermeture. Une longue période d’inactivité qui fut l’occasion, pour certains salariés du secteur, de voguer vers de nouveaux horizons professionnels. Pendant que les médias relaient le désarroi des dirigeants de l’hôtellerie-restauration face à la pénurie de main-d'œuvre, de Londres à Marseille en passant par Padoue, les idées émergent pour permettre à une poignée de ceux dont les parcours de vie ont cloisonné leur avenir, d’émettre un espoir de réinsertion par le biais des métiers de bouche. En conséquence, dans cette période de tension sur le marché de l’emploi en CHR, il devient légitime de se poser la question suivante : devrions-nous généraliser ce type d’initiatives ? Serait-ce une fausse bonne idée ? Est-ce transposable dans des lieux et contextes divers ? Poona a décidé de se forger sa propre opinion.
Fred Sirieix : « We need to give these people a chance »
Si vous êtes passionnés par la gastronomie et abonnés à la plus célèbre des plateformes de streaming, vous avez sans nul doute déjà entendu l’accent typiquement français de Fred Sirieix¹, l’animateur du show télévisé britannique My Million Pound Menu. Le 29 mai 2021, ce professionnel confirmé des métiers de l’hospitalité publiait une tribune, dans le non moins populaire journal The Big Issue², où il partageait son point de vue à propos du manque de main-d’œuvre qualifiée dans l’industrie hôtelière britannique. Entre crise sanitaire, formation défaillante et Brexit (ayant contraint de nombreux travailleurs européens à retourner dans leur pays d’origine), l’Angleterre doit elle aussi faire face, à l’instar de la France mais également de l’Italie, à une pénurie d’employés dans ses hôtels et restaurants. Pour y remédier, Mister ‘Oh Là Là !’ propose de piocher directement dans les geôles de Sa Majesté… Discours opportuniste ? Utopique ? Ce qui est certain, c’est que le limougeaud de naissance ne théorise pas. Depuis un peu plus de quatre ans l’association The Right Course, dont il est l’un des fers de lance, crée des restaurants d’application ouverts au public et gérés par les détenus eux-mêmes. Le dernier en date "Escape" a été inauguré le 1er octobre dernier au sein du centre pénitentiaire de Wormwood Scrubs, dans l'ouest de Londres. L'objectif ?
- Convertir les ex-délinquants en main-d’œuvre qualifiée pour un secteur en tension
- Offrir une possibilité de réinsertion à un public stigmatisé
- Réduire le nombre de récidives et, par conséquent, leurs coûts pour la société
Fort heureusement ce type de projet n’est pas l’apanage des territoires d’outre-Manche. En Afrique du Sud, la prison de Pollsmoor héberge elle aussi un restaurant. Le centre pénitentiaire Due Palazzi, à Padoue, accueille pour sa part une boulangerie-pâtisserie réputée dans toute l’Italie pour la qualité de ses panettones. Les reportages, publiés en 2021 par Giorgia Cannarella pour Vice et en 2016 par Emmanuelle Jary pour Paris Match, témoignent de l’impact positif de la démarche sur les condamnés et de leurs probabilités de récidive.
Quid de la France ?
Le controversé garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, annonçait en mars dernier la mise en place d’un contrat de travail pour les personnes incarcérées. Bien que cette annonce soit à saluer, elle ne garantit cependant nullement un emploi ni même une formation en adéquation avec les besoins présents sur notre territoire. Revenons à présent à notre sujet initial : conjuguer réinsertion et restauration. Les exemples internationaux présentés dans les lignes précédentes restent marginaux et la France ne fait pas exception. Cependant l’envie existe. Par la collaboration tripartie entre l’administration pénitentiaire, La Table de Cana (traiteur déjà engagé dans diverse causes) et Marseille Solutions (association visant à faire émerger des projets à impact social et environnemental), la cité phocéenne a vu éclore dans son centre-ville : Les Beaux Mets. Ce restaurant d’application éphémère s’était installé en mai 2019 au sein du tiers-lieu Coco Velten avec pour ambition d’investir pleinement les murs de la prison des Beaumettes au cours de l’année 2020³.
Un deal gagnant-gagnant ?
Le travail, au même titre que la formation professionnelle, est un droit pour tous que l’on soit ou non incarcéré. Pourtant, seuls 15 % des détenus de l’Hexagone en suivaient une en 2018 alors même que 44 % étaient sans diplôme à leur entrée en détention (23 % souffraient quant à eux d’illettrisme)*. En toute logique, l’absence de qualifications professionnelles induit un risque non négligeable de récidive :
- 63 % des personnes ayant écopé d’une peine de prison ferme sont de nouveau condamnées dans les 5 ans suivant leur libération
D’après l’Observatoire International des Prisons, le coût quotidien par détenus serait de 105 € par jour pour l’Etat français. Détenus, victimes, collectivités, tout le monde est finalement perdant avec le système carcéral actuel. Dans l’inconscient collectif, la prison est un lieu où les condamnés doivent souffrir pour les actes commis. Soit. Pour autant, ces actions passées doivent-elles également condamner leur avenir ? Le travail en prison ne doit pas se limiter à un simple levier destiné à maintenir la paix sociale derrière les barreaux. Il doit avant tout permettre de se réinsérer dans la société et, par dessus tout, d’être réhabilité.
Fred Sirieix : « But, of course, the industry needs also to improve working conditions. »
En 2018, soit bien avant la pandémie, hôtels et restaurants français manifestaient déjà leurs difficultés de recrutement. Comme aujourd’hui, et sans surprise, les conditions de travail étaient alors pointées du doigt. Mais plutôt que de tenter d’améliorer les conditions salariales en demandant aux dirigeants de faire l'effort de revoir leurs politiques d’entreprises, Didier Chenet le président du Groupement National des Indépendants hôtellerie et restauration, optait alors pour une toute autre solution. Le 19 juillet 2018, à l’occasion du Conseil Interministériel du Tourisme, il demandait au gouvernement de donner aux migrants en situation irrégulière des papiers dans le but de pouvoir enfin les embaucher (légalement). Après tout, pourquoi rendre le secteur plus attractif quand on peut profiter d’une main-d’œuvre peu encline à se plaindre de son taux horaire ou, pire, des heures supplémentaires non payées ? Blague à part et comme le souligne Fred Sirieix, les choses ne pourront changer sans que la profession ne procède à une introspection. Qu’ils soient migrants, ex-détenus ou citoyens lambdas, les futurs travailleurs de l’hôtellerie-restauration devront pouvoir bénéficier de conditions de travail révisées, sans quoi, les métiers de l’hospitalité continueront d’être tirés vers le bas.
Impossible d’avancer, avec certitude, que les concepts de réinsertion par les métiers de l’hospitalité soient généralisables malgré le succès qu’ils semblent rencontrer. Mais si cela peut potentiellement s’avérer bénéfique pour l’ensemble de la société, pourquoi ne pas tenter l’expérience ?
Et vous, quel est votre avis à propos de cette intitiative ?
Fred Sirieix | Emploi | Recrutement
¹ Né le 27 janvier 1972 à Limoges, Fred Sirieix, est un maître d’hôtel et animateur de télévision très populaire outre-Manche bien que peu médiatisé dans nos frontières. Formé en France, il ralliera par la suite Londres où il évoluera dans divers établissements de prestige tels que les restaurants La Tante Claire, Le Gavroche ou Sartoria - entre autres. À ce jour, il est manager général du restaurant Galvin at Windows situé au 28ème étage du Hilton on Park Lane Hotel.
² Si vous avez déjà arpenté les rues londoniennes vous avez inévitablement croisé un vendeur, vêtu d’un gilet rouge, vous proposer, parfois à pleins poumons, The Big Issue. Fondé en 1991 au Royaume-Uni, ce journal est vendu exclusivement par les sans-abris dans le but de leur procurer un revenu légitime. Au fil du temps la marque s’est exporté en Irlande, en Australie, sur le continent africain (Afrique du Sud, Kenya, Zambie, Malawi, Namibie) ainsi qu’en Asie (Japon, Taïwan, Corée du Sud).
³ Nous avons contacté La Table de Cana et Marseille Solutions pour savoir si, malgré la crise sanitaire, le projet avait abouti. À ce jour nous n’avons reçu aucun retour.
* Selon les chiffres du ministère de la justice | https://www.vie-publique.fr/eclairage/269815-prison-spip-la-mission-de-reinsertion-des-detenus
Article rédigé par Yohan Guyonnet, Agence marketing Poona à La Rochelle | À son retour en France en 2019 il co-fonde l’agence web Poona aux côtés de sa sœur Jennifer spécialisée dans les domaines du marketing et du digital. Capitalisant sur ses 15 années d'expérience dans les métiers de l'hospitalité, il aime prendre en exemple les acteurs économiques de son domaine de prédilection pour illustrer ses articles traitant majoritairement de la stratégie des entreprises sous un angle sociétale.